Rouge impératrice

Léonora Miano

Le lieu : Katiopa, un continent africain prospĂšre et autarcique, presque entiĂšrement unifiĂ©, comme de futurs Etats-Unis d’Afrique, oĂč les SinistrĂ©s de la vieille Europe sont venus trouver refuge.
L’époque : un peu plus d’un siĂšcle aprĂšs le nĂŽtre.
Tout commence par une histoire d’amour entre Boya, qui enseigne Ă  l’universitĂ©, et Illunga, le chef de l’Etat.
Une histoire interdite, contre-nature, et qui menace de devenir une affaire d’Etat.
Car Boya s’est rapprochĂ©e, par ses recherches, des Fulasi, descendants d’immigrĂ©s français qui avaient quittĂ© leur pays au cours du XXIĂšme siĂšcle, s’estimant envahis par les migrants. Afin de prĂ©server leur identitĂ© europĂ©enne, certains s’étaient dirigĂ©s vers le prĂ© carrĂ© subsaharien oĂč l’on parlait leur langue, oĂč ils Ă©taient encore rĂ©vĂ©rĂ©s et oĂč ils pouvaient vivre entre eux. Mais leur descendance ne jouit plus de son pouvoir d’antan : appauvrie et dĂ©passĂ©e, elle s’est repliĂ©e sur son identitĂ©.
Le chef de l’Etat, comme son Ministre de l’intĂ©rieur et de la dĂ©fense, sont partisans d’expulser ces population inassimilables, auxquelles Boya prĂ©conise de tendre la main.
La rouge impĂ©ratrice, ayant ravi le cƓur de celui qui fut un des acteurs les plus Ă©minents de la libĂ©ration, va-t-elle en plus dĂ©sarmer sa main ?
Pour les « durs » du rĂ©gime, il faut Ă  tout prix sĂ©parer ce couple


Note : 2 sur 5.

Le roman mĂȘle plusieurs histoires et thĂ©matiques, notamment : aventures amoureuses du chef de l’état, de sa femme, de son principal ministre ; question politique de l’assimilation ou de l’expulsion d’une communautĂ© originaire du pays des anciens colons (une façon de renverser la question de l’accueil des migrants) ; Ă  l’arriĂšre-plan, la construction d’un Ă©tat nouveau dans un rĂ©gime qui se veut une dĂ©mocratie affranchie des schĂ©mas de l’occident et qui veut allier le monde des anciens et des esprits et le modernisme.

Il n’est pas facile d’entrer dans le roman. Le premier chapitre accumule des termes inventĂ©s qui appellent Ă  consulter le glossaire en fin d’ouvrage. La volontĂ© de dĂ©payser, qui est un parti pris intĂ©ressant, se rĂ©alise malheureusement au dĂ©triment de la comprĂ©hension et de la fluiditĂ© du rĂ©cit.

L’autrice a tendance Ă  multiplier les dĂ©tails, plutĂŽt dĂ©coratifs, qui n’apportent rien au rĂ©cit et n’évite pas une sĂ©rie de redites. En revanche, elle reste trĂšs vague sur l’avĂšnement et le fonctionnement concret du rĂ©gime politique, se limitant Ă  des considĂ©rations gĂ©nĂ©rales.

On peut relever aussi l’une ou l’autre invraisemblance : comment le ministre de l’intĂ©rieur et de la dĂ©fense d’un Ă©tat aussi vaste peut-il mener en personne et seul une enquĂȘte de terrain ?

Style :

– Il n’y a pas de dialogue au sens traditionnel : dans les conversations, il n’y a pas d’alternance des interventions des personnages. L’autrice explique ce que disent les personnages, elle commente et ne cite que certaines interventions qu’elle met alors en italiques. Cela rend le texte moins vivant et maintient la lectrice ou le lecteur Ă  distance.

– À cĂŽtĂ© de certains passages poĂ©tiques, le langage est surtout intellectuel et savant, ce qui rend parfois la lecture ardue, surtout quand l’autrice se lance dans des digressions politiques et philosophiques qui n’apportent pas toujours grand-chose au rĂ©cit.

– Le style descriptif et peu actif nous tient Ă  distance du vĂ©cu des personnages et de leur rĂ©alitĂ© quotidienne, hormis lors de quelques scĂšnes de relations sexuelles.

Le roman embrasse trop de thĂ©matiques sans arriver, Ă  mon avis, Ă  bien les articuler pour les mettre au service du rĂ©cit. Comme il est impossible de tout suivre, certains points sont laissĂ©s dans le vague et perdent de leur intĂ©rĂȘt. Le style de l’autrice ne pousse pas Ă  nous sentir en empathie avec les personnages.

Stéphan

Le Temps de Tamango

Boubacar Boris Diop

Le temps de Tamango est le premier livre de Boubacar Boris Diop. Il stupĂ©fia lors de sa parution par l’originalitĂ© du rĂ©cit. En effet si le livre s’inscrivait dans la critique dĂ©jĂ  existante des intellectuels contre les pouvoirs despotiques mis en place en Afrique aprĂšs les IndĂ©pendances, sa forme tranchait quant Ă  elle avec la tradition. En effet Le temps de Tamango est un livre de politique-fiction, le premier du continent: Boubacar Boris Diop imagine ici que des intellectuels africains, en 2063, se penchent sur le passĂ© de leur pays et tentent de comprendre ce que fut la politique en Afrique dans les annĂ©es 1970. Et ce qu’ils dĂ©couvriront ne laissera de les stupĂ©fier.

Note : 2 sur 5.

Le Temps de Tamango est un roman puissant qui interroge avec luciditĂ© l’hĂ©ritage du colonialisme en Afrique. Boubacar Boris Diop y mĂȘle mĂ©moire, engagement politique et Ă©criture poĂ©tique pour dĂ©noncer les complicitĂ©s entre Ă©lites africaines et anciennes puissances coloniales. À travers une langue vive et des personnages marquĂ©s par la dĂ©sillusion, il rĂ©vĂšle les mĂ©canismes du nĂ©ocolonialisme. Ce livre est essentiel pour comprendre les blessures encore ouvertes de l’Afrique contemporaine. C’est une Ɠuvre de conscience, de rĂ©sistance et d’espoir.

Giovanni

No home

Yaa Gyasi

Un voyage Ă©poustouflant dans trois siĂšcles d’histoire du peuple africain.
Maama, esclave Ashanti, s’enfuit de la maison de ses maĂźtres Fantis durant un incendie, laissant derriĂšre elle son bĂ©bĂ©, Effia. Plus tard, elle Ă©pouse un Ashanti, et donne naissance Ă  une autre fille, Esi. Ainsi commence l’histoire de ces deux demi-sƓurs, Effia et Esi, nĂ©es dans deux villages du Ghana Ă  l’époque du commerce triangulaire au XVIIIe siĂšcle. Effia Ă©pouse un Anglais et mĂšne une existence confortable dans le fort de Cape Coast, sans savoir que Esi, qu’elle n’a jamais connue, est emprisonnĂ©e dans les cachots du fort, vendue avec des centaines d’autres victimes d’un commerce d’esclaves florissant avant d’ĂȘtre expĂ©diĂ©e en AmĂ©rique oĂč ses enfants et petits-enfants seront eux aussi esclaves. GrĂące Ă  un collier transmis de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, l’histoire se tisse d’un chapitre Ă  l’autre : un fil suit les descendants d’Effia au Ghana Ă  travers les siĂšcles, l’autre suit Esi et ses enfants en AmĂ©rique.
En Afrique comme en AmĂ©rique, No Home saisit et traduit, avec une Ă©tonnante immĂ©diatetĂ©, combien la mĂ©moire de la captivitĂ© est restĂ©e inscrite dans l’ñme d’une nation. Navigant avec talent entre histoire et fiction, nuit et lumiĂšre, avec une plume qui varie d’un continent Ă  l’autre, d’une sociĂ©tĂ© Ă  une autre, d’une gĂ©nĂ©ration Ă  la suivante, Yaa Gyasi Ă©crit le destin de l’individu pris dans les mouvements destructeurs du temps, offrant une galerie de personnages aux fortes personnalitĂ©s dont les vies ont Ă©tĂ© façonnĂ©es par la loi du destin.

Note : 5 sur 5.

Un roman chargĂ© d’Histoire, nous parcourons 250 ans Ă  travers 14 personnages : une mĂšre commune, 2 demi-sƓurs, un arbre gĂ©nĂ©alogique brisĂ© par l’esclavagisme. Sans rancƓur, ni jugement, mais plutĂŽt comme un devoir de mĂ©moire, Yaa Gyasi nous conte l’histoire de ses 2 pays, le Ghana dont elle est originaire et les Etats-Unis, terre d’accueil Ă  partir de ses 2 ans. Nous suivons ces 2 familles, tantĂŽt avec effroi de la cruautĂ© des hommes, tantĂŽt avec espoir d’un avenir meilleur. Des fragments de vie racontĂ©s oĂč chaque gĂ©nĂ©ration porte le fardeau de son hĂ©ritage. L’Afrique n’est jamais loin avec ses traditions, ses ancĂȘtres, ses dieux… RĂ©cit interpellant sur la colonisation, le rĂŽle de chacun : Britanniques comme GhanĂ©ens, l’esclavagisme, la sĂ©grĂ©gation. Un voyage dans le temps incroyable, dĂ©routant, terrifiant mais tellement nĂ©cessaire.

Julia

FrĂšre d’Ăąme

David Diop

Un matin de la Grande Guerre, le capitaine Armand siffle l’attaque contre l’ennemi allemand. Les soldats s’Ă©lancent. Dans leurs rangs, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, deux tirailleurs sĂ©nĂ©galais parmi tous ceux qui se battent alors sous le drapeau français. Quelques mĂštres aprĂšs avoir jailli de la tranchĂ©e, Mademba tombe, blessĂ© Ă  mort, sous les yeux d’Alfa, son ami d’enfance, son plus que frĂšre. Alfa se retrouve seul dans la folie du grand massacre, sa raison s’enfuit.
Lui, le paysan d’Afrique, va distribuer la mort sur cette terre sans nom. DĂ©tachĂ© de tout, y compris de lui-mĂȘme, il rĂ©pand sa propre violence, sĂšme l’effroi. Au point d’effrayer ses camarades. Son Ă©vacuation Ă  l’ArriĂšre est le prĂ©lude Ă  une remĂ©moration de son passĂ© en Afrique, tout un monde Ă  la fois perdu et ressuscitĂ© dont la convocation fait figure d’ultime et splendide rĂ©sistance Ă  la premiĂšre boucherie de l’Ăšre moderne.

Note : 4 sur 5.

Ce roman court mais puissant et bouleversant mĂȘle l’histoire de la PremiĂšre Guerre mondiale et du colonialisme Ă  travers les yeux d’un jeune paysan sĂ©nĂ©galais qui sombre dans la folie en devenant un meurtrier sanguinaire, ivre de vengeance aprĂšs la mort de son « frĂšre d’ñme Â».

Dans un long monologue incantatoire, Alfa dĂ©crit les horreurs de la guerre des tranchĂ©es mais Ă©voque aussi son histoire qui s’apparente Ă  un conte oĂč sorcellerie et magie s’entremĂȘlent.

Catherine

Mathématiques congolaises

In Koli Jean Bofane

Dans un Kinshasa secouĂ© de remous de toutes sortes, CĂ©lio aurait pu traĂźner sa galĂšre encore longtemps, n’eĂ»t Ă©tĂ© sa rencontre avec le directeur d’un bureau aux activitĂ©s trĂšs confidentielles, attachĂ© Ă  la prĂ©sidence de la RĂ©publique. La faim tenaille suffisamment les ventres pour que le dĂ©bat sur bien et mal puisse ĂȘtre sĂ©rieusement envisagĂ©. La ville ne fait pas de cadeau, le jeune homme le sait, et il tient lĂ  l’occasion de rejoindre le cercle trĂšs fermĂ© des sorciers modernes qui manipulent les ĂȘtres et la vie quotidienne. Orphelin depuis l’une des guerres qui ravagent le pays, CĂ©lio conserve comme une bible un vieux manuel scolaire, retrouvĂ© dans le sac de son pĂšre tuĂ© au hasard d’une route de fuite. C’est grĂące Ă  des thĂ©orĂšmes et Ă  des dĂ©finitions que CĂ©lio MathĂ©matik espĂšre influer sur le destin dont il dit n’ĂȘtre que le jouet. Un moment emportĂ© dans la spirale sympathique de la vie facilitĂ©e, CĂ©lio MathĂ©matik n’a cependant pas oubliĂ© la mort suspecte de Baestro, un vieux copain qui gagnait quelques sous en participant Ă  des manifs arrangĂ©es par l’Ă©minence grise du pouvoir, mais qui un jour y a laissĂ© sa vie. Avec humour et gravitĂ©, connaissant son monde et pour cause, In Koli Jean Bofane campe d’une plume aussi acerbe qu’exotique ses personnages et dresse des tableaux d’un Congo que le lecteur s’approprie vite parce qu’il sent les rues, palpite au rythme des musiques et des images livrĂ©es avec justesse et Ă©normĂ©ment d’empathie.

Note : 4 sur 5.

Dans un pays oĂč cohabitent quelques « happy few » et une population qui s’efforce de (sur)vivre, l’ascension fulgurante dans les coulisses du pouvoir d’un jeune homme pauvre fou de mathĂ©matiques est une fiction particuliĂšrement rĂ©aliste imaginĂ©e par un auteur qui connait parfaitement la situation et la mentalitĂ© des Kinois et qui, en dĂ©pit de tous les problĂšmes, veut garder un certain optimisme.

Christiane

Coeur du Sahel

DjaĂŻli Amadou Amal

FaydĂ© vit dans les montagnes dans l’extrĂȘme-nord du Cameroun. Pour que sa mĂšre, ses frĂšres et sa sƓur ne soient pas dans le besoin, son beau-pĂšre ayant disparu au cours d’une razzia de Boko Haram, la jeune adolescente dĂ©cide de partir Ă  Maroua, la ville la plus proche, oĂč elle sera domestique. Comme ses comparses, elle devra se faire Ă  sa nouvelle vie, citadine et difficile pour les filles. MĂ©pris de classe, mauvais traitements, viols
 Comment FaydĂ© parviendra-t-elle Ă  se frayer son chemin dans un environnement, oĂč son destin semble tracĂ© Ă  l’avance ?
DjaĂŻli Amadou Amal signe, avec CƓur du Sahel, un nouveau roman sur la condition de la femme dans le Sahel Ă  travers la vie non plus des « Impatientes » mais de leurs domestiques, marquant encore plus son engagement contre les injustices faites aux femmes.

Note : 5 sur 5.

Nous voilĂ  emmenĂ©s au cƓur du Cameroun dans un petit village pauvre oĂč la vie est bien difficile. FaydĂ©, la jeune fille de la famille rĂȘve d’aller travailler comme domestique en ville pour aider sa famille. La vie en ville comporte de nombreux risques pour les domestiques et elle va l’apprendre bien vite. Et la condition de domestique Ă©quivaut Ă  la condition de moins que rien, cela aussi elle va l’apprendre. Le tout saupoudrĂ© des violences faites par le Boko Haram et le dĂ©cor est plantĂ©. Livre attachant, on se sent proche des personnages. A lire !

Brigitte

A bientĂŽt pour une nouvelle saison du club de lecture ! 

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